Le 21 octobre 1881, une commission consultative est créée au sein du gouvernement pour préparer un projet de loi fondamentale. Sept ans plus tard, le 11 février 1889 (Meiji 明治 22) sera promulguée la Constitution impériale du Japon, Dainippon teikoku kempô 大日本帝国憲法, première loi fondamentale de l'empire du Japon, connue aussi sous le nom de Constitution de Meiji, Meiji kempô 明治憲法.
Le projet d'une constitution impériale est initié dès la création du nouveau gouvernement de Meiji après la restauration impériale. Il doit servir deux objectifs : doter le Japon d'une constitution pour donner l'image d'un pays moderne aux yeux des puissances occidentales du moment, afin de pouvoir renégocier les traités commerciaux sur un pied d'égalité, et renforcer la légitimité du nouveau pouvoir impérial.
L'année 1889 reste un tournant dans l'histoire du Japon. S'ouvre alors une période de calme après tous les soubresauts politiques ou sociaux que le pays a connu depuis 1868 : la guerre civile, la guerre de Boshin, Boshin sensô 戊辰戦争, et les différentes rébellions des anciens samurai 侍 sont terminées, les conflits sociaux nés de l'opposition des partisans du mouvement des droits de l'homme (jiyû minken undô 自由民権運動) aux réformes du gouvernement, ont été jugulés. L'amnistie accordée, le même jour que celui de la promulgation de la nouvelle constitution, aux différents prisonniers politiques fait partie de ce mouvement de pacification du pays.
La nouvelle loi fondamentale est une étape supplémentaire dans le processus de légitimation du pouvoir impérial. La même année, 1889, les travaux du château d'Edo, Edo-jô 江戸城, l'ancien centre du pouvoir shôgunal détruit en 1873, se terminent et l'empereur s'installe le 11 janvier dans son nouveau palais rebaptisé Kyûjô 宮城.
Elle entre en vigueur le 29 novembre 1890 (Meiji 明治 23), le jour même de l'inauguration du parlement japonais, la Diète impériale, Teikoku gikai 帝国議会. Elle est abrogée après-guerre et remplacée par la nouvelle constitution réalisée sur le modèle américain du 3 mai 1947 (Shôwa 昭和 22).
Dès la fin du shôgunat et le début de la restauration impériale de 1868 se pose le problème d'une loi fondamentale. Deux textes remplissent cette fonction jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution.
Les prémices d'une constitution
Le serment impérial des cinq articles, Gokajō no seimon 五箇条の誓文
La situation politique troublée née de la restauration de Meiji, notamment la guerre civile de Boshin, dans laquelle s'oppose les partisans de l'empereur et ceux du shôgun, pousse le nouveau souverain japonais à préciser l'orientation qu'il compte donner à sa politique. Dans cette perspective sont élaborés les cinq principes qui doivent guider son action au cours de son règne.
Ils sont rédigés par les proches de l'empereur dont le conseiller, san'yo 参与, Yuri Kimimasa 由利公正 (1829-1909), en janvier 1868 et révisés par Fukuoka Takachika 福岡孝弟 (1835-1919). Le serment doit permettre au gouvernement de Meiji d'asseoir son autorité notamment vis-à-vis des diplomates étrangers présents au Japon.
Il est rendu public lors de sa lecture par le vice-directeur ou fukusôsai 副総裁, Sanjô Sanetomi 三条実美 (1837-1891), en présence de l'empereur et de plus de 400 officiels japonais dans le grand hall du palais impérial de Kyoto.
Les cinq articles sont les suivants :
- Une assemblée délibérative sera convoquée et organisée et toutes les décisions seront prises après une discussion publique ;
- Tout le monde, quel que soit son rang prendra part aux affaires d'Etat. L'économie nationale et les finances seront renforcées ;
- Les officiels civils et militaires ainsi que le peuple doivent atteindre ce à quoi ils aspirent et leur esprit ne doit pas se laisser aller au désœuvrement ;
- Les mauvais comportements du passé doivent être abandonnés et les actes doivent se faire selon la coutume internationale ;
- Le savoir sera recherché partout dans le monde et les fondations du pouvoir impérial seront renforcées.
L'empereur devait railler à sa cause les daimyô 大名 qui n'avaient pas rejoint le shôgun afin d'éviter la généralisation de la guerre civile. D'où l'idée de les faire participer aux affaires de l'Etat au sein d'une assemblée. Seulement ce parlement de seigneurs féodaux ne vit jamais le jour en raison des affrontements à l'intérieur même du gouvernement.
L'ouverture des fonctions administratives aux samurai de rang inférieur permet de pacifier le pays en leur offrant une charge gouvernementale en échange de la perte de leurs privilèges liés à leur statut de guerrier.
Le serment prend acte de la présence occidentale au Japon et reconnaît la validité de tous les traités internationaux signés par le shôgun. Malgré la forte opposition des partisans de l'empereur à la présence étrangère sur leur sol, chacun considère que le Japon n'a pas les moyens de s'engager dans un conflit avec les puissances occidentales et qu'il est nécessaire que le Japon prenne le temps de se moderniser pour renforcer ses capacités militaires de défense et d'acquérir une stature internationale afin de pouvoir, le temps voulu, renégocier ces traités avec les Occidentaux sur un pied d'égalité.
Il exprime la volonté de s'inspirer de l'étranger pour acquérir des connaissances nouvelles.
Dans ce cas précis, l'empereur prête serment devant dieu et non devant le peuple ou les officiels japonais. Par ce geste, il consacre le principe de l'union du gouvernement et des rites shinto 神道, saisei itchi 祭政一致, un des principes du retour vers l'antique, Ôsei fukko 王政復古, légitimant le pouvoir impérial.
En contresignant le serment, les daimyô font état de leur allégeance à l'empereur, tournant définitivement la page à l'époque féodale du Japon.
Le livret sur le gouvernement, Seitaisho 政体書
Connue sous le nom de « constitution de 1868 » ou l'« acte organique », c'est la première ébauche d'une constitution dans le gouvernement de Meiji.
Elle est rendue publique le 11 juin 1868.
Selon ses termes, le grand conseil d'Etat, le dajôkan 太政官, possède toute autorité sur les sept départements administratifs nouvellement créés sur le modèle occidental des ministères. Il prévoit la création d'une assemblée délibérative bicamérale, giseikan 議政官, au sein de laquelle siégent les daimyô, limitant ainsi le pouvoir grandissant des fiefs de Chôshû 長州藩et de Satsuma 薩摩藩dans l'exécutif de Meiji. Mais, en raison des troubles, le projet d'une chambre parlementaire est d'abord ignoré puis abandonné. En revanche, le dajôkan demeure l'organe exécutif central du gouvernement jusqu'à l'adoption du système de cabinets ministériels en 1885.
Elaboration de la constitution
A l'automne 1881, un rescrit impérial annonce qu'une assemblée nationale sera constituée en 1890 et le 21 octobre 1881, une commission consultative est créée au sein du gouvernement afin de préparer un projet de loi fondamentale.
Itô Hirobumi 伊藤博文 (1841-1909) est nommé à la tête de cette commission et, en 1882, il part en Europe au sein d'une délégation japonaise pour étudier les différents systèmes constitutionnels existants dont ceux de la Prusse et de l'Autriche-Hongrie, comme cela avait été décidé avant leur départ.
Le choix s'est porté sur l'Allemagne en raison de sa position vis-à-vis de l'Angleterre et des Etats-Unis qui étaient les deux nations en pointe à l'époque. Les Allemands devaient, tout comme les Japonais mais dans une moindre mesure par rapport au Japon, rattraper leur retard sur leurs plus proches concurrents.
En déplacement à Berlin, Itô Hirobumi rencontre le juriste prussien, Rudolf von Gneist (1816-1895) afin d'obtenir son conseil mais ce dernier est sceptique quant à l'élaboration d'une constitution en raison de l'absence de volonté du peuple japonais à s'en doter.
Les experts juridiques allemands, Rudolf von Gneist et Lorenz von Stein, auront un impact décisif dans l'élaboration de la constitution japonaise.
Le problème crucial auquel sont confrontées les personnes en charge de rédiger la loi fondamentale, Itô Hirobumi, Inoue Kowashi 井上毅 (1844-1895), Itô Miyoji 伊東巳代治 (1857-1934), Kaneko Kentarô 金子堅太郎 (1853-1942) ainsi que les conseillers juridiques Hermann Roesler et Albert Mosse, est de résoudre la contradiction entre le principe de souveraineté impériale et le principe d'un gouvernement constitutionnel. De 1886 à 1888, dans une atmosphère de secret absolu, plusieurs versions du projet sont établies, discutées et révisées. Le projet final est soumis à l'empereur en avril 1888 et la consitution est promulguée le 11 février 1889.
Le rôle de l'empereur
L'article 1 affirme que « l'empire du Japon est assujetti et gouverné par une lignée continue depuis les temps immémoriaux d'empereurs » et que le pouvoir de souveraineté est investi dans la personne même de l'empereur. Lui seul a le droit de déclarer la guerre, de faire la paix et de conclure des traités ; d'exercer le commandement suprême des armées, de dissoudre la chambre basse de la Diète et de promulguer les ordonnances impériales lorsque la Diète n'est pas en session.
L'article 4 précise toutefois que toutes lois, ordonnances ou rescrits impériaux, de quelque nature que ce soit, doivent être contresignés par un ministre d'Etat. L'empereur du Japon ne peut pas prendre d'initiatives sans le conseil ou l'accord de ses ministres. En contrepartie, les ministres ne sont responsables que devant l'empereur et lui seul.
Le gouvernement
Malgré la somme de pouvoirs détenue par l'empereur, la constitution rend le législatif indépendant de toute interférence avec l'exécutif. Le parlement a le droit d'initier des lois, d'approuver tous textes de droit ainsi que le budget.
De plus, les libertés individuelles sont protégées par l'habeas corpus, le droit à un procès équitable, l'inviolabilité de sa demeure et de ses biens ainsi que les libertés de religion, d'expression et de rassemblement même si ces droits peuvent être abrogés par des lois parlementaires.
La constitution de Meiji est une charte ambivalente et ambiguë, coincée entre les deux principes contradictoires de la souveraineté impériale et du gouvernement parlementaire. Il revient aux chefs de gouvernement et des partis politiques de restreindre le potentiel autoritaire ou libertaire de la constitution.
La constitution a été rédigée par des oligarques qui ont fait en sorte de limiter le pouvoir de la chambre basse. Ce n'est que vingt ans plus tard que les membres des partis politiques au Japon ont pu accéder aux fonctions ministérielles et il faudra attendre 1918 pour qu'un parlementaire devienne premier ministre.
La société de Meiji qui se voulait « moderne » et « démocrate » était, en réalité, une nation répressive, chauviniste et militariste.