Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 45]

 

Le lendemain de la visite du Temple des mousses, il était prévu que le ministre aille à Kōya-san, le mont Kōya, pour y dormir dans un shukubō, un temple bouddhiste, et visiter la nécropole Oku-no-in, mais une crise urgente à Paris l’obligea à abréger son voyage à la grande satisfaction de Pierre-Victor qui ne le supportait plus.

Sa Majesté accompagna le ministre à l’aéroport pour s’assurer de son départ avant de rentrer au consulat.

Dans son bureau l’attendait la demande de remboursement de Konda pour l’achat des vingt parapluies pour la somme exorbitante de quarante mille yens(1).

— Quoi ! Mais, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? hurla-t-il en entrant dans le secrétariat.

— Bonjour, Monsieur le Consul général.

—’jour ! C’est quoi cette histoire, cria-t-il en brandissant le papier sous le nez de Konda, flegmatique.

— Vous vous rappelez, hier après-midi, après la retranscription des sutras dans le temple Kokedera, il s’est mis à pleuvoir. Comme personne…

— Je le sais ! Pas la peine de me le rappeler, je m’en souviens très bien, hurla Pierre-Victor.

— Il s’est mis à pleuvoir et comme personne n’avait de parapluie, il a bien fallu s’en procurer. Vous n’auriez pas voulu que le ministre soit trempé, n’est-ce pas ? continua Konda, toujours aussi calme.

— Non… Bien sûr que non… Mais, c’est que…

— Comme vous le savez, le Kokedera est un temple isolé et on y trouve très peu de boutiques. Comme il fallait faire vite, nous sommes allés dans la première que nous avons trouvée. Nous avons eu de la chance de trouver suffisamment de parapluies pour toute la délégation car cela aurait fait mauvaise impression que de revenir avec seulement deux ou trois parapluies, n’est-ce pas ?

— Oui, mais…

— Le Kokedera est un temple très touristique et les touristes apprécient souvent d’acheter quelque chose en souvenir de leur visite dans le quartier. C’est la raison pour laquelle, cette boutique n’avait que des parapluies à deux mille yens, généralement destinés aux visiteurs de passage.

— Oui, mais…

— Nous aurions pu, bien sûr, nous rendre dans une autre échoppe mais cela aurait nécessité de prendre la voiture et de perdre un temps précieux. Il n’aurait pas été convenable de faire perdre son temps au ministre, n’est-ce pas ?

Pierre-Victor ne disait plus rien.

— Bien entendu, lorsqu’il s’est agi de payer, mes collègues de la mairie de Kyoto ont proposé de le faire mais il était impossible d’accepter, il en allait de l’honneur de la France. J’ai donc avancé l’argent.

— C’est que…

— Bien sûr, vous pouvez refuser de signer ma demande de remboursement mais ce serait plus rapide que de demander à Paris de me rembourser. En plus, si je dois faire la demande à Paris, cette procédure doit recevoir l’aval de Tokyo.

— Ah…

Pierre-Victor calcula rapidement les risques : soit il accordait le remboursement à Konda, soit Tokyo et Paris seraient au courant pour l’achat de vingt parapluies, ce qui ferait tache dans sa carrière irréprochable.

— Soit !

Il signa rapidement le formulaire avant de le donner à Konda.

— Et les parapluies, où sont-ils ? demanda-t-il soudainement.

— Vous aviez donné consigne de les offrir au temple. Le responsable en a été ravi, répondit Konda.

— Et c’était une excellente idée que j’ai eue, ajouta-t-il blême.

Il retourna dans son bureau totalement abattu. Konda se précipita vers le plateau consulaire pour se faire rembourser, provoquant l’admiration d’Atsumi.

Sugoi ! Yon-man-en mo ! Wahou ! Quarante mille yens ! Pour des parapluies ! Eh bé, ils ne se refusent rien, ces Français ! Et il n’a pas fait de problèmes pour te rembourser.

— Pas du tout. C’était son idée.

— Dire qu’ils refusent de nous augmenter et ils dépensent une fortune en parapluie !

— Rien n’est trop beau pour un ministre !

— Tu les as gardés, au moins ?

— Non, il voulait qu’on en fasse don au temple.

Zannen ! Tant pis, on aurait pu avoir des parapluies gratuits pour tout le consulat.

Atsumi partit récupérer l’argent dans le coffre qui était dans le bureau de la consule adjointe avant de le donner à Konda, soulagé de récupérer son bien.

 

L’humiliation subie par Pierre-Victor lors de la visite du ministre avait mis du baume au cœur de Konda.

L’éducation japonaise du consul venait de débuter et il allait bientôt faire comme tous les autres : baisser les bras, laisser faire ses collègues japonais et profiter de la région pour faire du tourisme. Tout redeviendrait normal comme avant, comme avant les rumeurs de fermeture et le départ de Géraldine que tout le monde avait déjà oubliée.

Mais, la cruelle réalité peut parfois prendre l’allure d’un innocent poteau : si on l’ignore, on peut se le prendre violemment dans la figure. Et ça fait mal.

 

 

 

(1) Trois cent euros environ.

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