Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 44]

 

Lorsque la délégation sortit du temple une fois tous les sutras retranscrits, contrairement aux prévisions souvent fantaisistes et très aléatoires de la météo nipponne, le ciel était devenu gris et menaçant.

 Alors que débutait la fameuse visite du jardin des mousses, des trombes d’eau s’abattirent sur nos visiteurs. Personne n’avait pris de parapluie puisqu’il était censé faire beau mais, au Japon, la pluie n’est pas un problème car il y a toujours un combini, un petit supermarché de quartier, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre qui en vend pour cent yens.

Konda ainsi que quelques membres japonais de la délégation furent diligentés pour s’en procurer. Seulement, vu l’averse et l’isolement relatif du Kokedera, n’étaient disponibles que des parapluies à deux mille yens, soit pour vingt personnes, une petite fortune. Il fallait bien que quelqu’un paye et Konda dut se sacrifier au nom du consul général de France. Il exigea une facture afin de se faire, le plus rapidement possible, rembourser ces frais exorbitants.

Le temps de tout acheter et de revenir au temple, la visite put enfin débuter sous un déluge d’eau.

— C’est le parfait moment pour visiter, dit Konda au ministre qui s’amusait comme un petit fou. La pluie fait gonfler les mousses qui en deviennent encore plus belles.

— C’est génial, n’est-ce pas ? fit remarquer le ministre à Pierre-Victor.

— Tout à fait, répondit ce dernier en faisant attention de ne pas glisser sur les marches en pierre trempées du chemin.

Le ministre était aux anges. Il prenait plein de photos, laissant le consul tenir son parapluie le temps d’un cliché. Comme Sa Majesté avait du mal à porter le sien et celui du ministre en même temps, il pouvait difficilement se protéger.

Alors qu’il était assiégé par les gouttes d’eau, Pierre-Victor serrait des dents de plus en plus. Sauf quand le ministre se tournait vers lui, il arborait alors un superbe sourire mais ses petits yeux engoncés dans leurs orbites étincelaient d’une colère noire.

Enfin, la pluie s’arrêta et le soleil refit son apparition mais pas assez pour sécher Pierre-Victor qui était trempé, des gouttes dégoulinant de son crâne.

— Mon pauvre ami ! Mais vous êtes tout mouillé, lui dit le ministre. Je croyais que la baignade dans ces étangs était interdite.

Et il éclata de rire, rapidement rejoint par toute la délégation. Pierre-Victor fit semblant de s’amuser, rigolant bouche grande ouverte et tête renversée, mais aucun son ne sortait de sa gorge.

— Heureusement que nous ne sommes pas en Angleterre, continua le ministre. Sinon, on nous aurait pris pour des grenouilles. Ah, ah, ah !

Et c’était reparti de plus belle.

 

Un vieil étang, Furu ike ya 古池や
Une grenouille plonge, Kawazu tobikomu 蛙飛びこむ
Le bruit de l'eau. Mizu no oto 水の音。

 

Matsuo Bashō 松尾 芭蕉 (1644-1694)

 

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