Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 33]

 

Avant le 14 juillet, il y a le 4 juillet, le Fourth of July, la fête nationale américaine.

Le consul général des États-Unis, Andrew Speet, avait, comme la coutume l’exige, invité Sa Majesté à la réception qu’il organisait à cette occasion. Comme c’était sa première année, ce dernier ne pouvait refuser même s’il mourait d’envie de ne pas y aller.

Lorsqu’il lui avait rendu visite au tout début de son séjour au Japon, comme tout diplomate digne de ce nom se devait de le faire, il n’avait pas trouvé son homologue particulièrement agréable.

— Sœur Spit(1), aï ame dilaïtide tou mite you. Maï némeuh ize Pierre-Victor Cusseaud. Aï ame ze niou consul général de France ine Ozaka .

Mister Pierre Victor, I am delighted to finally meet you. I am sure you will excuse the last minute postponement of our meeting but, as you know, I am a busy man, just like you(2), répondit son homologue en grimaçant furtivement.

— Yèsseuh ineudide(3).

Do you mind(4) ?

Andrew Speet appela sa secrétaire. Quelques secondes plus tard, un de ses collègues arriva dans son bureau.

John, let me introduce you to our new French consul general in Osaka, Mr Pierre Victor(5).

— Heu, Cusseaud, Cusseaud Pierre-Victor, rectifia Sa Majesté.

— Comment allez-vous, Monsieur le consul général ? fit le jeune homme à son attention.

— Oh, vous parlez français ?

— Oui, j’ai été en poste à l’ambassade euméricaine à Paris pendant plusieurs années.

— Vous connaissez donc bien « Parisse », fit Sa Majesté, se voulant spirituelle.

— Oui, tout à fait, lui répondit John en faisant la moue.

Il se tourna vers son supérieur hiérarchique qui acquiesça d’un hochement de tête.

— Voulez-vous bien que je vous fasse visiter notre installation ? demanda John à Pierre-Victor.

— Avec plaisir.

Andrew Speet se leva rapidement.

It’s been a pleasure meeting you, Sir(6).

— Aulle ze plaizeure waze maïne, Sœur Spit(7).

 

Pierre-Victor eut alors l’insigne honneur de parcourir pendant une bonne heure les locaux du consulat général américain d’Osaka. Il put ainsi se rendre compte des ressources considérables tant financières que matérielles et humaines dont disposaient les Américains au Japon.

Sur le chemin du retour, notre petit consul était songeur : la France, ce pays si admirable qui était le sien, était capable de faire aussi bien que ces Yankees mais avec dix fois moins de moyens.

Ah, la, la ! Que serait la France si elle possédait ne serait-ce que la moitié de la puissance des États-Unis ? Nous serions à la place qui nous revient de droit : celle d’un pays avec les meilleures écoles au monde, la meilleure diplomatie, les meilleures industries… La France serait au firmament des Nations comme elle le fut dans le passé. Et le monde entier, ces bouseux d’Américains y compris, serait obligé d’apprendre notre admirable langue pour essayer de comprendre pourquoi ce pays, tant méprisé par tous ces ingrats et jaloux, était ce qu’il est.

Après une telle visite, Pierre-Victor n’avait aucune envie d’assister au Fourth of July d’autant que son collègue américain n’avait jamais honoré de sa présence un seul Bastille Day alors qu’il était systématiquement invité. Il est vrai que ses vacances débutaient le 5 et qu’il ne se trouvait jamais au Japon le 14. Il déléguait alors ses fonctions à son adjoint qui s’empressait de se faire remplacer par un subalterne. Le plus souvent, aucun Américain n’était présent à la réception qu’organisaient les Français. De même que nos compatriotes ne se rendaient jamais à la fête nationale belge du 21 juillet ou celle de la Confédération helvétique, le 1er août, puisque tout le monde était parti le 15. 

 

 

 

(1) Monsieur Spit (« crachat » en anglais), je suis ravi de vous rencontrer. Je m’appelle Pierre-Victor Cusseaud. Je suis le nouveau consul général de France à Osaka.

(2) Monsieur Pierre Victor, je suis enchanté de vous rencontrer finalement. Vous m’excusez pour le report de notre entretien au dernier moment mais, comme vous le savez, je suis un homme occupé, tout comme vous.

(3) Oui, tout à fait.

(4) Vous permettez ?

(5) John, est-ce que je peux te présenter le nouveau consul général de France à Osaka, Monsieur Pierre Victor.

(6) Ce fut un plaisir de vous rencontrer.

(7) Tout le plaisir était pour moi, Monsieur Spit.

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