Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 20]

 

— Ils vont fermer le service des visas !

À peine Géraldine était-elle entrée sur le plateau consulaire qu’elle annonça la mauvaise nouvelle à tout le monde.

Uso ! C’est pas vrai !

Murakami fut la plus rapide à réagir. Atsumi s’en moquait : Géraldine n’était ni la première, ni la dernière des employés français locaux à être mis à la porte. Elle en avait vu défiler un grand nombre et un de plus ou de moins, cela n’avait aucune importance.

Mais Murakami et Fujisaki n’étaient pas du même avis qu’Atsumi et elles appelèrent Konda qui les rejoignit.

— Tu es au courant ?

— À propos de la fermeture du bureau des visas ? Oui, je suis au courant, répondit-il.

— Que va-t-on faire ?

— Comment ça ?

— Ben oui. Ce n’est pas bon signe. S’ils ferment le bureau des visas, comment va-t-on faire pour justifier la présence d’un consulat général dans le Kansai ?

— En quoi, cela change-t-il quelque chose ?

— Si le bureau des visas ferme, le consulat ne sert plus qu’à faire l’Etat-civil.

— Et les passeports ? Tu oublies les passeports ?

— C’est que… Avec le nouveau passeport biométrique dont ils parlent, ils vont centraliser l’émission des nouveaux passeports à Hong Kong. On ne sera plus qu’une boîte à lettres et cela, Tokyo peut très bien le faire sans notre aide.

— C’est la fin ? demanda Murakami, de plus en plus inquiète.

— Ils ne peuvent pas fermer le consulat comme cela, s’énerva Atsumi.

— Pourquoi pas ? objecta Konda.

— Parce que !

La discussion n’allait nulle part. Tout le monde, Atsumi y compris, savait que la fermeture du bureau des visas n’augurait rien de bon. Si le consulat fermait vraiment, comment faire pour retrouver du travail ? Personne ne le dit à voix haute mais chacun rentra chez soi en silence, le dos vouté et le regard au sol comme pour se préserver d’une menace invisible mais si proche.

 

La fermeture du bureau des visas était entérinée et elle allait être effective fin septembre.

Même si personne ne voulait le laisser paraître, tout le monde avait été secoué au consulat. Géraldine était furieuse. Elle était désagréable avec tous les demandeurs de visa. On les apercevait derrière la baie vitrée, soi-disant blindée, tremblant comme une feuille à chaque fois qu’elle leur posait une question. Ses manières abruptes étaient à l’opposé de ce l’on pouvait attendre non seulement d’une femme vivant au Japon, pour qui charme et délicatesse étaient les principales qualités, mais aussi, et surtout, de la part d’un employé travaillant avec le public.

Certaines personnes étaient vraiment effrayées, avec parfois des larmes aux coins des yeux. On avait presque envie d’aller les retrouver pour les réconforter mais, en même temps, on se disait que s’ils passaient l’épreuve, c’est qu’ils étaient fin prêts à affronter la faune parisienne du métro le jour où ils se rendraient dans cette ville dont ils avaient, pour la plupart, une image à l’eau de rose totalement erronée.

Géraldine ne s’occupait plus du site Internet dont seulement la moitié des pages avait été mise à jour. Lorsque l’on arrivait sur le site, la page d’accueil avait plutôt belle allure mais dès que l’on cliquait dans les sous-menus, d’horribles pages apparaissaient avec des couleurs et des typographies d’un autre âge, symbole d’une diplomatie en perte de vitesse dont seule la façade faisait l’objet de soins attentifs pour ne rien laisser paraître du délabrement intérieur.

Une ambiance morne régnait sur le plateau consulaire. Les gestes étaient plus lents, les sourires plus rares. Les seuls rires que l’on entendait provenaient du bureau de la consule adjointe l’après-midi. Mais, au lieu de remonter le moral de chacun, ils avaient un effet délétère sur tous.

Pierre-Victor était considéré comme l’élément perturbateur de l’harmonie toute relative qui prévalait au consulat et comme la menace qui pesait désormais sur leur travail. Et il était hors de question de se laisser faire sans réagir.

Il fut décidé, d’un commun accord, d’éloigner Kuso le plus possible du consulat afin de respirer car l’air se raréfiait en sa présence.

Konda fut chargé d’envoyer Sa Majesté en voyage d’agrément. 

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