Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 60]

 

Pierre-Victor était de mauvaise humeur. La journée commençait mal et la seule idée d’avoir plein de formulaires à remplir en raison du décès de cette idiote aggravait son état. En entrant dans la chancellerie, il dit bonjour du bout des lèvres avant de s’enfermer dans son bureau quelques instants.

Konda eut à peine le temps de franchir la porte qu’il se retrouva encerclé par ses collègues du plateau consulaire.

— Alors ? Que s’est-il passé ?

— Mme Tatin est morte.

— Oui, bon, ça, on le savait déjà. Comment ça s’est passé ?

Etto… Hé bien…

Konda commença à leur raconter toute l’histoire. Tout le monde écoutait en silence. De temps en temps, une personne de la Mission économique venait se joindre à eux et restait pour entendre la suite des événements. Chaque phrase de Konda était scandée par un chœur de « hum » sonores qui évoquait une prière bouddhiste.

Lorsqu’il termina son récit, chacun s’éclipsa sans faire de bruit. Konda s’assura qu’il avait suffisamment de monnaie et descendit prendre un café.

 

Sa Majesté prit une longue inspiration avant de décrocher son téléphone puis il appela son assistant. Il entendit sonner dans la pièce à côté.

— Mais c’est pas possible ! s’écria-t-il. Où est cet imbécile ?

Il se leva rapidement et, en trois enjambées, entra dans le secrétariat qui était vide.

— C’est pas possible d’être aussi mal secondé. Mais quelle bande de branquignols ! Je vais devoir tout faire moi-même comme d’habitude.

Il retourna à son bureau, claqua la porte, hésita deux secondes puis l’ouvrit d’un geste brusque. Comme cela, je saurais quand cet incapable sera de retour, pensa-t-il. Il s’assit promptement et saisit le combiné du téléphone qu’il reposa aussitôt.

Réfléchir. Je dois réfléchir à ce que je dois dire à l’ambassadeur. Est-ce que je l’appelle directement ou est-ce que je rappelle mon collègue ? Si je l’appelle directement, il va m’envoyer sur les roses mais si je ne l’appelle pas, il va m’en vouloir. Réfléchis, Pierrot, réfléchis. Tâter le terrain ? Oui mais comment. Qui pourrais-je appeler sans me mettre en porte-à-faux avec l’ambassadeur ? Son premier conseiller ? Nan, c’est un minable qui sera trop heureux de me poignarder dans le dos. Appeler Paris ? Oui mais là, si l’ambassadeur l’apprend, je suis mort. En même temps, il n’en a rien à faire du décès d’un consul adjoint en fin de carrière, d’une femme en plus.

Réfléchis, Pierrot, réfléchis. Je dois déranger l’ambassadeur pour un problème plus sérieux que la mort d’un sous-fifre sans intérêt. Ça y est, j’ai trouvé ! Faire passer le sous-fifre pour quelqu’un d’important ? Non, cela ne marchera pas. Gonfler l’accident ? Oui, pourquoi pas ? En faire un probable incident diplomatique ? Peut-être pas. Voyons voir. Elle est tombée sous un train mais si cela se trouve, on l’a poussée, c’est peut-être un meurtre ou du moins un homicide. Oui, cela paraît bien. Une enquête de police ? Et pourquoi pas le préfet de police d’Osaka qui me contacte directement ? Oui, ça, c’est bien.

Cusseaud avait retrouvé son sourire. Il reprit gaillardement le combiné téléphonique qu’il laissa retomber à nouveau.

Oui mais dois-je dire qu’elle sortait de chez moi ? Aïe. Mais quelle salope ! Elle ne pouvait pas crever ailleurs, cette conne !

Il tapa du poing sur son bureau. Il devenait hargneux, il avait besoin de se défouler sur quelqu’un.

 

Lorsque Konda revint à son secrétariat, il se rendit compte que la porte de communication avec son supérieur était grande ouverte. Il savait que c’était mauvais signe. Soit il était sorti, soit il avait besoin de lui. Konda s’approcha tout doucement de la porte et croisa les petits yeux noirs du consul qui l’attendait en souriant. Il comprit tout de suite qu’il allait passer sur le gril. 

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