Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 57]

 

Le téléphone sonna. Konda avait du mal à se réveiller mais sa femme se leva prestement de leur futon et couru vers le salon d’où provenait la sonnerie. Il l’écouta échanger les formules de politesse d’usage car, même à trois heures du matin – Mon dieu ! Trois heures du matin – soit, c’était un caprice de Sa Majesté, encore un, soit c’était important.

Il comprit de suite aux bruits de pas feutrés mais rapides de son épouse qui se rapprochaient de la chambre. Elle fit irruption dans la pièce et lui tendit le combiné avec cette rapidité froide et précise dont seules les femmes japonaises savent faire preuve en guise d’autorité.

C’était le commissariat de Kobé. Il y avait eu un accident. Il appela de suite le Kuso.

 

— Comment ça, elle est morte ? Ouiiiii, j’avais compris, si quelqu’un est décédé, c’est qu’il est mort. Quand ça ? Hier soir ? Où ça ? Comment ça, près de chez moi ? Mais, qu’a bien pu faire cette imbéc… euh… cette dame ? Quoi ! C’est pas possible ! La police, en plus ! Mon dieu, mais elle nous aura tout fait, cette c... Quoi ! Ce matin à 8 heures devant son domicile ! Mais, ça ne va pas ! Vous vous rendez compte à quelle heure je vais devoir partir de chez moi ! Comment ça, c’est la police qui a fixé le rendez-vous, eh bien, décommandez, mon brave, décommandez. Hein ? Quoi ? Oui, oui, ça va, ce ne sera pas nécessaire d’appeler l’ambassadeur, je serai là.

Mais quelle conne ! Mais quelle conne ! avait-il ajouté à voix haute après avoir raccroché sans même dire au revoir. Purée, ce matin à huit heures à son domicile ! Qu’est-ce que je fais maintenant ? Dois-je appeler l’ambassadeur et le déranger à cette heure pour juste une employée ou… ou appeler le consul de Tokyo ? Et merde, quel est le nom de ce cancrelat de mes deux ?

Pierre-Victor reprit son combiné et rappela son secrétaire.

— Oui, Konda, vous pouvez me donner le nom et le numéro de téléphone personnel du consul à Tokyo. Comment ça, c’est sur la fiche que vous m’avez donnée lorsque je suis arrivé à Ozaka ? C’est aussi enregistré sur mon téléphone portable mais où est-il cet engin de malheur ? Ah, je l’ai. Merci Konda. À demain.

Il inspira profondément. Il lui fallait une histoire toute prête à être présentée. Il devait être rapide, précis, sans fioritures. Ne pas parler trop vite, ni trop lentement.

— Bonsoâr ! Comment allez-vous très cher ? Oui, je sais l’heure est indue mais je n’ai malheureusement pas le choâ. Un accident grave est arrivé à notre tarte tat…, à Madâme Tatin. C’est notre consule adjointe. Apparemment, selon les premiers rapports de police, elle serait tombée sur les quais du train entre Kobé et Ozakâ. Oui, je sais, c’est horrible. Une perte immense pour le poste. Cela va de soâ, je veillerai à ce que tout le nécessaire soit fait et, cela, dans les meilleurs délais. J’ai demandé à voir les forces de police le plus tôt possible. Nous avons rendez-vous ce matin à huit heures dans son appartement. Je vous tiens au courant de la suite des événements dans un prochain télégramme. Oui, bien sûr, je n’y manquerai pas. Mes amitiés à Madâme. Bonne soirée. À bien…

Il n’eut pas le temps de finir, le consul général de Tokyo lui avait déjà raccroché au nez. Pierre-Victor rappela son assistant qui décrocha dès la première sonnerie.

— Oui, Konda. Vous avez le protocole à suivre en cas de décès ? Au bureau, je comprends. Vous pourrez me l’amener demain matin lors du rendez-vous avec la police ? À ce stade, il ne sera pas nécessaire, qu’en savez-vous ? Il ne concerne que le Département et il faut d’abord savoir ce qui s’est passé. Oui. En effet. Nous verrons tout cela plus tranquillement dans mon bureau. À demain !

Au moment où il raccrochait, Konda entendit sa femme soupirer bruyamment. Il sourit discrètement. Décidément, Sa Majesté faisait le même effet à tous les gens qu’il pouvait côtoyer.

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