Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 54]

 

Après un déjeuner frugal et solitaire, Cusseaud rejoignit l’ambassade. Il salua la secrétaire de l’ambassadeur. Cette dernière regarda sa montre : le petit consul était en avance. Elle le pria de s’asseoir. À l’heure exacte, elle appela l’ambassadeur.

— Monsieur l’ambassadeur, Monsieur Pierre-Victor Cusseaud est là.

— Qu’il attende ! cria Henri-Aymard avant de raccrocher.

— Monsieur l’ambassadeur va vous recevoir de suite, Monsieur le consul général, dit-elle en s’adressant à Pierre-Victor.

— Merci, Mâdâme.

Pierre-Victor commençait à être sur la défensive. Le comportement de l’ambassadeur à son égard ne correspondait pas à ce à quoi il était en droit de s’attendre. Au bout de vingt minutes d’attente, il était mal à l’aise. Tout cela n’était pas normal. Que se passait-il donc ?

Enfin, la porte du bureau s’ouvrit.

— Ah, Françoise, vous m’appelez Edouard, s’il vous plaît. Qu’il vienne nous rejoindre. L’ambassadeur se tourna alors vers le consul. Cusseaud, dans mon bureau !

— Monsieur l’ambassadeur… fit Pierre-Victor.

— Asseyez-vous !

Il s’exécuta de suite.

— Alors, qu’avez-vous pensé de la réception de ce matin ? lui demanda Henri-Aymard tout sucre. Admirable, n’est-ce pas ? Et cet écrivain, quel talent !

— Oui… Tout à fait…

— Oui… Tout à fait… répéta l’ambassadeur. On le sentait prêt à exploser mais il se contint. Il attendit en silence que son premier conseiller arrive. Ce dernier finit par passer sa tête dans l’entrebâillement de la porte.

— Entre, Edouard, entre.

— Monsieur le consul général.

— Monsieur le Premier conseiller.

Un vent glacial souffla entre les trois hommes. Pierre-Victor était de plus en plus mal à l’aise. Quelque chose n’allait pas mais quoi, il n’en avait aucune idée.

— Edouard ? fit l’ambassadeur.

— Monsieur Cusseaud. Nous avons eu un appel d’un journaliste nous informant de la fermeture prochaine du consulat d’Osaka.

— Un journaliste ? demanda Pierre-Victor, interloqué.

— Oui, un journaliste. Romain Fougasse si mes souvenirs sont corrects. Vous connaissez ?

Pierre-Victor se mordit les lèvres pour ne pas répondre.

— Bien entendu, nous avons fermement démenti mais il nous a affirmé détenir cette information d’une source sûre.

— De Paris ?

— Nan…

— De Tokyo ?

— Sûrement pas !

— Je ne vois pas.

— Je vais vous donner un indice, s’avança l’ambassadeur. Je suis la capitale du Kansai, mon nom commence par O et finit par Saka, je suis, je suis ?

— Ozaka ? Mais c’est impossible !

— Ah, c’est impossible ?

— Ben oui, à part moi, personne n’est au courant !

— À part vous ? susurra l’ambassadeur.

Le piège était en train de se refermer sur lui. Pierre-Victor comprit rapidement qu’il y avait un problème et que ce problème, c’était lui. Il fallait qu’il trouve une échappatoire et vite, très vite, même.

— Oh, mon dieu, non ! dit-il.

L’ambassadeur et le premier conseiller le regardèrent intrigués.

— Géraldine, notre ancienne employée au bureau des visas. Elle est partie furieuse. C’est elle, j’en suis sûr, qui a dû donner cette information au journaliste.

— Elle était au courant ?

— Non mais elle a dû l’inventer pour causer du tort au consulat, à vous, à moi, à toute la diplomatie française. Mon dieu, comment ai-je pu être aussi naïf ! J’aurais dû me méfier de cette garce !

Henri-Aymard et Edouard se regardèrent en silence. Ils en avaient connu des petits employés qui, une fois mis à la porte, allaient cracher leur bile auprès de n’importe qui. Les propos de Sa Majesté étaient vraisemblables. Il était possible que le journaleux leur ait tendu un piège en affirmant que sa source était haut placée. Heureusement, ils n’étaient pas tombés dedans.

Mais il restait quand même un problème à régler.

— Quelle que soit la source de ce gratte-papier de misère, toujours est-il que la fermeture anticipée du bureau du service des visas d’Osaka renforce l’idée que le consulat va fermer.

— Cela n’a rien à voir. Le consulat s’adresse avant tout à nos compatriotes. La fermeture du bureau des visas permet justement de rendre pérenne le consulat en affectant une partie des économies à la gestion de l’Etat-civil ou des bourses.

Pierre-Victor avait répété mot pour mot le discours qu’il avait tenu à ses subordonnés pour expliquer la fermeture du service. L’aplomb avec lequel il débita son laïus fit effet sur l’ambassadeur et le ministre conseiller, satisfaits de l’entendre parler ainsi.

— De toute façon, le consulat ne va pas fermer, du moins pas dans l’immédiat. Vous serez bien aise de faire circuler l’information auprès de vos collaborateurs et de toute personne que vous rencontrerez dans un futur proche, ajouta le Premier conseiller.

— Je n’y manquerai pas, Messieurs.

C’en était fini de la réunion. Pierre-Victor sortit les jambes flageolantes. Ce misérable traître, cet immonde ver de terre de Romain. Ah ! Il s’était bien moqué de lui ! Ainsi donc, il l’avait séduit pour lui soutirer des informations confidentielles. Saloperie de scribouillard !

 

Henri-Aymard et Edouard se retrouvèrent seuls dans le bureau de l’ambassadeur.

— Alors qu’en penses-tu ? demanda l’ambassadeur.

— C’est plausible mais je ne pense pas que ce journaliste nous aurait appelés s’il avait eu l’information par une employée. Tu sais très bien comme moi que, contrairement à ce que l’on peut penser, les fuites ne viennent pas d’en bas, du petit personnel, mais bien d’en haut. De tout en haut.

— Oui, mais on n’a rien pour le prouver. C’est sa parole contre celle d’un plumitif de seconde zone, ce qui penche en sa faveur.

— En tout cas, il ne perd rien pour attendre. Au prochain faux pas, on le jette dans la fosse aux lions, ce kuso de malheur.

 

La rumeur circula quelques temps, Romain cherchant des infos où il pouvait mais personne ne pouvait lui confirmer ou infirmer quoi que ce soit. Le consulat d’Osaka et l’ambassade niait farouchement toute fermeture. Et Romain, la mort dans l’âme, arrêta de poser des questions car il craignait que son sujet soit récupéré par un autre journaliste.

C’était la fin de l’année et tout le monde avait d’autres préoccupations. 

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