Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 43]

 

Le Kokedera est un temple qui se mérite. D’abord, il faut trouver la discrète entrée qui reste fermée jusqu’à l’heure dite de l’ouverture.

Par un miracle qui ne s’explique pas, la délégation arriva en avance de cinq minutes.

En un temps aussi court, Pierre-Victor réussit à mettre sérieusement en doute les capacités des chauffeurs, du GPS, des officiels japonais qui accompagnaient le ministre et de ses collaborateurs.

Lorsque les portes s’ouvrirent à l’heure dite, il alla se plaindre bruyamment auprès des moines du temple pour avoir osé faire attendre un ministre venu exprès de France. Les Japonais le laissèrent s’énerver tout seul sans même lui jeter un regard.

Konda ne savait plus où se mettre tellement il avait honte. Il assuma la stupidité de son chef car il se devait d’être solidaire avec sa propre équipe même si celle-ci était la plus mauvaise de toutes. Il fit un effort surhumain de tout traduire en expliquant à chaque fois la situation à son interlocuteur quitte à tordre le cou à la réalité.

— Monsieur le consul général de France ici présent s’est inquiété en voyant les portes fermées. Il a craint de s’être trompé et ne voyant personne venir. Il a eu peur de voir son honneur bafoué devant son ministre, ici présent. Maintenant que vous êtes là, il est obligé pour ne pas perdre la face devant lui d’exprimer sa colère. Vous voudriez bien l’en excuser, dit-il au moine venu ouvrir la porte.

— Hum ! répondit sèchement ce dernier qui ne laissa rien paraître de l’incident.

Tout le monde entra dans l’enceinte du temple. Arrivé devant le bâtiment principal, le moine invita tous les membres de la délégation à se déchausser avant de rentrer à l’intérieur.

— Mais je croyais qu’on venait visiter un jardin de mousses, demanda Pierre-Victor à Konda. Pourquoi doit-on se déchausser pour entrer dans un temple ?

Son secrétaire prit une grande inspiration.

— Le Kokedera n’est pas un temple comme les autres. La visite du jardin est, comment dire, un acte religieux.

Il prit une pause pour laisser le temps à l’information d’atteindre le cerveau du Kuso.

— Et alors ? demanda ce dernier.

— Avant de fouler le jardin des mousses, il faut se purifier. Pour cela, chaque visiteur doit effectuer le shakyō.

— Le chat-quoi ?

— Le shakyō est un exercice de calligraphie qui consiste à recopier des sutras.

— N’est-ce pas génial ?

Pierre-Victor se tourna vers le ministre qui les avait rejoints. Il lui sourit, mâchoire crispée, avant de répondre :

— Mais bien sûr ! J’ai hâte de voir à quoi cela ressemble.

Chacun prit place par terre les jambes croisées devant une minuscule écritoire où étaient disposé deux feuilles, l’une contenant les sutras écrits en japonais et une autre que l’on devait remplir, avec, sur le côté, un encrier et un pinceau pour la calligraphie.

Konda, inquiet d’un nouvel esclandre de son chef, partit se renseigner auprès du responsable du temple.

— Maître, je suis désolé de vous importuner mais je me trouve dans une situation délicate. Voyez-vous, mon supérieur hiérarchique, le consul général de France, et son hôte, Monsieur le ministre des Collectivités territoriales et de l’Artisanat de France, ne parlent pas notre langue et ne connaissent pas notre écriture.

— Ah, ah, ah ! Ne vous inquiétez pas ! Qu’ils écrivent une seule ligne, cela suffira pour leur pénitence.

Konda fut soulagé de l’apprendre. Il en informa Pierre-Victor qui transmit l’information au ministre.

— Ah, bon ! Seulement une seule ligne, fit ce dernier, visiblement déçu. Mais, dites-moi, mon brave Panda…

— Konda…

— Oui, mon brave Konda, on peut quand même recopier la totalité des sutras si l’on en a envie ?

— Oui, Monsieur le Ministre, c’est même conseillé.

— Ah, ben alors, mon brave Pierre-Victor, c’est bien ce que je pensais : ce n’est pas avec une ligne que l’on ira au Paradis ! Soyons respectueux de leur coutume, les locaux nous apprécieront d’autant plus.

Et, la mort dans l’âme, Sa Majesté passa les vingt minutes suivantes à essayer de recopier tant bien que mal les incompréhensibles caractères avec un pinceau qui ne voulait pas rester dans sa main et à positionner ses membres trop grands qui empiétaient sur l’espace de son voisin. Lorsqu’il eut, enfin, terminé, il se leva péniblement le dos en compote, les jambes engourdies et le poignet douloureux.

Le supplice ne venait que de commencer.

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