Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 28]

 

Konda devait se faire une raison : ses offensives à l’égard du consul ne menaient nulle part. Bien, au contraire, elles avaient des effets délétères sur son travail et, surtout, sur les relations qu’il entretenait avec tout le gotha de la région. Il était fier de son réseau d’adresses et il devait tout faire pour le préserver même si son supérieur était odieux.

Dō shiyō ka ? Que faire ? Si le consul refusait d’aller à une réception importante, c’était son problème. S’il changeait d’avis, ça devenait mon problème. C’est le grand chef et le grand chef a toujours raison, se dit-il en souriant ironiquement. Seulement… Il était de nouveau soucieux : Je me dois de l’aiguiller sur les bonnes invitations, de faire le tri entre le grain et l’ivraie… Je risque de vexer bon nombre de personnalités de la région s’il leur fait faux bond. Sans compter qu’il passera pour un imbécile s’il doit rappeler pour annuler l’annulation.

Comment en suis-je arrivé à une telle situation ? Cet abruti a déjà été en poste au Japon. Il est censé avoir côtoyé tous les acteurs économiques importants du Kansai. Il est censé parler la langue japonaise ou, du moins, en connaître un minimum en matière de politesse. Mon rôle devrait se résumer à celui d’un simple secrétaire qui ne fait que passer les plats.

Mais Konda le savait bien, s’il se cantonnait à n’être qu’un relais, il allait perdre son influence et, après autant d’années passées à entretenir un réseau aussi considérable, il avait du mal à s’y résoudre.

Il fallait trouver autre chose. Etre plus finaud que cette andouille mais sa marge de manœuvre était extrêmement réduite : il fallait organiser des rencontres tout en limitant les dégâts au minimum.

Cela lui demandait beaucoup d’énergie car il devait à la fois ruser pour que le consul accepte une invitation importante et ensuite subir les foudres de ses compatriotes froissés par l’attitude désinvolte ou inconvenante de celui-ci.

Sans compter sur les initiatives malheureuses de Sa Majesté.

 

Un jour, celui-ci fit installer dans son bureau un tableau représentant le terme Bushidō, la « voie du samouraï », le code d’honneur du guerrier japonais, calligraphié à la chinoise.

Le Bushidō est très apprécié des étrangers mais, au Japon, il est assimilé avec l’extrême-droite. Imaginez l’ambassadeur du Japon en France qui mettrait un portrait de Pétain dans son bureau ! Et Pierre-Victor était tout fier de son choix.

Lorsque Konda vit le tableau pour la première fois, il était resté tétanisé.

— C’est écrit « bouchideau ». C’est le code d’honneur des samourailles, lui dit Kuso.

— ….

— C’est magnifique, n’est-ce pas ? continua-t-il. C’est une chose qui enorgueillit la pensée japonaise. Savez-vous qu’il n’existe que deux pays au monde où il y a eu des chevaliers ? La France et le Japon. C’est passionnant, n’est-ce pas ?

— C’est passionnant, réussit à articuler Konda, fou de rage.

— Vous pouvez être fier de votre histoire.

Oh, oui, nous sommes fiers de ce qui s’est passé à Hiroshima, à Nagasaki, à Okinawa. Nous sommes fiers de la capitulation sans condition du pays. Oh, oui, les Japonais sont fiers de leur histoire, pensa-t-il, le sourire crispé aux lèvres.

Code du guerrier, mon cul, oui ! Ce n’est qu’un fantasme, une invention ! Le Bushidō a été inventé alors que les samouraïs avaient déposé les armes depuis belle lurette. Ces vaillants guerriers n’étaient plus que des bureaucrates obéissants et butés comme tout bon employé. Des chevaliers ? Sûrement pas ! Des clercs de notaires avec leurs petits ronds-de-cuir pour protéger leurs délicats fessiers !

Le Bushidō n’est que l’expression du fonctionnaire idéalisé par ses supérieurs : loyal, obéissant et qui ne se plaint jamais. Une carpette qui n’a rien en commun avec l’attitude d’un vrai guerrier face à la mort en dehors de quelques illuminés comme Mishima !

Pourquoi le consul a-t-il voulu mettre en exergue un terme aussi passéiste et militariste, utilisé de nos jours uniquement par l’extrême droite japonaise ? La plupart des gaijin choisissent de jolis dessins avec des fleurs et des petits oiseaux. Mais, cet abruti ! Non, bien sûr ! Au pire, il offensera ses interlocuteurs japonais, au mieux, il passera pour un idiot qui ne connaît rien au Japon !

Konda sourit un instant. Baka da yo ! C’est vraiment un débile ! se dit-il. Il ne connaît rien à ce pays. Il est trop bouché pour en apprendre quoi que ce soit. Au moins, ses visiteurs seront immédiatement fixés sur la qualité du pauvre type qu’ils auront en face d’eux. Seulement, c’est toute l’équipe du consulat qui va passer pour des imbéciles finis à cause de lui.

À cette idée, il soupira bruyamment. Il était anéanti à l’idée de devoir travailler encore plusieurs années avec ce crétin.

Mais ce qu’il ignorait, c’était que le pire était encore à venir.

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