Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 19]

 

Géraldine entra seule dans le bureau de Sa Majesté.

— Monsieur le consul général, vous avez demandé à me voir ?

— Oui, ma chère. Asseyez-vous.

— De quoi s’agit-il ? demanda-t-elle, sur ses gardes.

— Je viens de recevoir un télégramme diplomatique de Paris qui m’annonce de mauvaises nouvelles.

— Quelles mauvaises nouvelles ?

— Vous savez que la diplomatie française rencontre des difficultés de fonctionnement en ce moment ?

Pierre-Victor fit une pause dans son discours. Il attendait un assentiment de sa part mais rien ne venait. Il continua :

— En effet, la politique extérieure française coûte cher et les budgets sont hélas limités.

À nouveau, il s’arrêta. Géraldine avait compris où il voulait en venir mais elle restait silencieuse.

— Les budgets ne sont pas extensibles et les dépenses en matière de diplomatie augmentent.

— Il faut déshabiller Paul pour habiller Pierre, c’est cela ? demanda-t-elle sur un ton sarcastique.

— Non ! Il faut déshabiller Paul pour ne pas déshabiller Pierre. Là est toute la nuance.

Cusseaud avait pris un ton professoral pour déclamer sa dernière phrase, le doigt levé tout en regardant Géraldine par dessus ses lunettes. Cette dernière commençait à s’énerver et les digressions sur les fringues de Paul et de Pierre l’irritaient encore plus. Pierre-Victor voyait la colère monter en elle et il s’en délectait.

— Et pour ne pas mettre en péril l’action de la France au Japon, il faut se résoudre à des procédés qui, personnellement, me rebutent, ajouta-t-il, la main sur le cœur.

Mais quel mauvais acteur, pensa Géraldine.

— De quoi s’agit-il ?

Il éluda la réponse.

— Vous travaillez depuis un an au service du bureau des visas, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Vous vous plaisez ici ?

— Oui.

— Ce travail n’est pas trop difficile pour vous ?

— Personne n’a eu à se plaindre de mon travail.

Il ne dit rien. Il la laissa parler. Comme au poker, il faut garder ses meilleures cartes pour la fin. Il attendit qu’elle ait montré tout son jeu avant d’abattre le sien et de remporter la partie sans effort.

— Alors, vous allez me prolonger mon contrat ?

Bingo ! La question qu’il ne fallait pas poser et elle venait de le faire. Pierre-Victor attendait le bon moment pour bondir sur sa proie. Il ne se fit pas attendre pour attaquer.

— C’est là tout le problème. Vous faites du bon travail mais le Département vient de décider de fermer le bureau des visas.

— Quoi ? Mais vous aviez promis de me garder !

— Je n’ai jamais dit cela, voyons !

— Votre prédécesseur m’avait promis !

— Oui mais tout comme moi, il ignorait ce qui se tramait dans les bureaux à Paris. Croyez-moi, et j’en suis mortifié, c’est une décision prise par Paris et je suis obligé d’obéir.

— On avait promis de me garder.

Décidemment, cette oie blanche était une proie trop facile. Pierre-Victor eut aimé qu’elle se batte un peu mieux mais, bon, ce n’était qu’une employée sans intérêt après tout. On ne peut pas s’attendre à grand-chose lorsque l’on affronte quelqu’un qui n’est pas de son niveau.

— Comment pourrait-on vous garder pour un poste qui n’existe plus ?

— Et… Et le site Internet ?

— Quoi, le site Internet ?

— Qu’allez-vous en faire ?

— Qu’est-ce que je vais en faire ? Quelle question !

— Ben, c’est moi qui m’en occupe. J’avais été envoyée en stage à Paris pendant une semaine pour m’en occuper.

— Vous ! Vous vous occupez du site Internet !

Pierre-Victor était interloqué.

— Mais il faut laisser les spécialistes s’en charger, du site Internet. Voyons, ce n’est pas une femm… quelqu’un comme vous qui va s’en occuper.

— Mais c’est moi qui m’en occupe. C’est moi qui ait traduit toutes les pages du français vers le japonais que ce soit pour les informations pratiques, comme pour se rendre au consulat, ou pour la partie visa. Car vous l’ignoriez sans doute mais les informations sur les demandes de visa étaient uniquement en langue française.

— Ce qui est normal, voyons !

— Mais la plupart des Japonais qui partent en France pour le tourisme ou pour le travail ne parlent pas français.

— Hé ben, qu’ils l’apprennent. Que voulez-vous que cela me fasse ? Ce n’est pas à vous de vous occuper du site Internet. À Tokyo, comment font-ils ?

— C’est le service informatique qui s’en occupe…

— Hé ben, vous voyez. Eux, ce sont des spécialistes, ils sont spécialement formés pour cela.

— Mais… Mais, j’ai suivi un stage de plusieurs jours pour…

— Tss, tss… Que sont quelques jours face à plusieurs années d’étude ? Non franchement, n’aggravez pas votre cas. Ce consulat n’a pas besoin d’un site Internet. Tout devrait être centralisé à Tokyo. De plus, vous pouvez compter sur ma sollicitude si vous avez besoin de références pour votre prochain emploi. Si vous en trouvez un.

Géraldine était dévastée. Tous ses projets tombaient à l’eau : son visa se terminait et sans contrat de travail, elle n’avait aucune chance de le renouveler. Et cet imbécile qui faisait semblant d’avoir de la compassion pour son sort. Elle s’en moquait de sa « sollicitude ». Quel salaud ! Elle le regarda les yeux humides et noirs de colère :

— Vous me faites pitié ! Vous… Vous êtes…

— Je suis ?

Elle ferma les poings. Elle voulut l’agonir d’injures mais elle se retint. C’est ce qu’il attendait et elle ne pouvait pas lui faire ce plaisir. Plus elle s’énervait, plus il arborait un sourire de triomphe. Elle avait envie de pleurer mais il était hors de question de le faire devant lui.

Elle se leva d’un bond et sortit en claquant la porte.

Bon débarras, siffla-t-il entre ses dents.

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