Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 6]

 

L’avion du consul venait d’atterrir, il devait être en train de faire les formalités d’usage et allait sortir dans le hall de l’aérogare d’un instant à l’autre.

L’ensemble de la Mission économique menée par le chef adjoint, François Turbot-Vaquin, s’était déplacé afin de venir l’accueillir. Puisqu’il s’agissait d’un membre éminent du ministère des Finances, leur administration de tutelle, ils n’avaient pas d’alternative possible.

Turbot-Vaquin était le parfait petit fonctionnaire : il ressemblait à une poire coiffée de lunettes trop grandes pour lui et de quelques poils qui surnageaient sur une calvitie déjà bien avancée pour ses quarante ans. La seule caractéristique qui le dénotait de ses collègues aussi bedonnants et chauves que lui, en dehors d’un nom ridicule dont ces derniers faisaient grand emploi, était une lèvre inférieure tombante qui le faisait ressembler à un chameau, d’où son surnom de Chameau-taquin.

Il avait réussi à se faire nommer numéro deux du poste d’expansion économique à force de courbettes auprès des grands chefs qui n’accordaient d’intérêt qu’à leur misérable cour. Il avait accepté le poste espérant qu’un diplomate ne connaissant rien aux chiffres vienne prendre la succession de l’« imbécile », le surnom du prédécesseur de Cusseaud.

Il était lui-aussi très déçu que le nouveau consul soit de Bercy car cela voulait dire qu’il aurait à nouveau un chef au-dessus de lui. Et il n’en avait pas envie mais alors, pas du tout, son adjoint encore moins car lui-aussi avait espéré devenir chef-adjoint de la mission économique. Ce dernier était une ombre. S’il n’y avait pas cette odeur de tabac froid qui le suivait partout, on aurait pu croire qu’il n’existait pas tant il était silencieux et vide. Vide de souffle, d’opinion, de paroles. Un ectoplasme qui avait toutes les qualités que son chef désirait : faire son travail tout en se faisant oublier.

 

Ils avaient pris place à l’intérieur de la berline du consulat accompagné de Madame Tatin, seule représentante de la chancellerie. Tous les autres s’étaient engouffrés dans le mini-van du poste d’expansion économique conduite par Saburō Kuwabataké, un petit papy nippon plus très vif mais bien pratique car il ne se plaignait jamais.

Les premiers étaient arrivés à l’aéroport international du Kansai avec une bonne demi-heure d’avance sur les seconds. Contrairement à Kuwabataké, Shigéru Yamamoto, le chauffeur du consul, un ancien de la Légion étrangère, avait appris à conduire en France et ne tenait pas compte des limitations de vitesse sur les autoroutes de l’archipel. Son collègue, quant à lui, appartenait à l’ancienne école : il avait conduit des minibus pour les élèves d’un collège et la sécurité l’emportait sur tout le reste : il respectait à la lettre le code de la route et s’arrêtait à la totalité des carrefours même s’il avait la priorité au grand dam de ses passagers. Se faire conduire par ce dernier s’apparentait à un véritable calvaire. C’est la raison pour laquelle le chef adjoint de la Mission économique et son plus proche collaborateur étaient montés à bord du véhicule conduit par Yamamoto.

Parvenus à destination et garés juste en dessous d’un panneau « interdiction de stationner », Turbot-Vaquin et son ectoplasme allèrent prendre un café, laissant en plan Madame Tatin et le chauffeur devant la porte des arrivées. Ils ne revinrent que trente minutes plus tard rejoindre le petit groupe au grand complet.

Même les deux jeunes stagiaires frais émoulus de leur école de commerce avaient fait le déplacement. On les avait surnommés Laurel et Hardy car autant l’un était petit, brun, maigre, chétif et « lunetteux », autant l’autre était grand, blond, un début de bidoche et expansif.

Le premier avait appris le japonais en cours du soir, le second passait chacune de ses soirées auprès d’une Japonaise différente. Quelquefois, il sortait en compagnie d’une Coréenne ou une Chinoise mais cela lui importait peu : elles se ressemblaient toutes de toute façon.

Le personnel local était représenté par Aiko Kuruma, la secrétaire particulière du responsable de la Mission. Elle avait environ soixante ans. À croire qu’à chaque année, elle devait rajouter une couche de fond de teint tant l’épaisseur de son maquillage était impressionnante. Ses yeux étaient trop grands pour être naturels et son incapacité à cligner des paupières lui donnait un air d’éternel étonnement couronné par une chevelure permanentée et crêpée à l’ancienne.

 Si l’on ajoutait à l’ensemble de cet aréopage, les deux chauffeurs, cela constituait un mélange hétéroclite et brimbalant qui résumait assez bien l’état de l’amitié franco-nipponne.

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